Transformation d’Orange Innovation : des inquiétudes et des attentes 2 juin 2025
Lors du CSEE Innovation des 21 et 22 mai 2025, M. Le Mounier, en mission en tant que CPO par intérim, a présenté un bilan des « Value Streams » et la réflexion en cours sur l’évolution de la gestion des produits chez Orange Innovation. Dans le cadre de cette mission, M. Le Mounier a la responsabilité du management délégué des DIS et de Strat-Ops.
Il est crucial de rappeler le contexte : les Value Streams ont été lancées fin 2023 sans budget dédié, 2024 étant une année de test and learn.Cette présentation intervient dans un contexte de transformation profonde d’Orange Innovation, visant à la rendre plus agile, plus orientée « produit » et plus créatrice de valeur pour le groupe. M. Le Mounier a insisté sur la volonté d’Orange d’adopter une approche produit, de clarifier la gouvernance des projets et d’améliorer l’efficacité globale. L’analyse qui suit, réalisée par vos représentants CFDT au CSEE Innovation, met en lumière les points positifs et les points de vigilance soulevés.
Points positifs :
✔ Premières réussites des « Value Streams » :
Malgré un démarrage sans budget dédié et une phase de « test and learn » en 2024, certaines « Value Streams » ont enregistré des succès. On peut citer le lancement de l’unité d’affaire « Network API », le succès d’Orange Cybersecure avec plus de 200 000 clients « B2C », les avancées sur l’IA pour l’expérience client avec le déploiement du « Smart Phone Helper » chez Orange Pologne (premier outil d’IA générative orienté client et basé sur un code réplicable), et la génération de valeur chiffrée grâce aux cas d’usage CVM (« Customer Value Management ») dans plusieurs pays (ORO, OPL, OBE et MEA). La méthode DVM (« Data Value Measurement ») utilisée pour ces projets Data/AI, déployée avec les unités d’affaire, a permis de démontrer la création de valeur.
✔ Volonté d’amélioration et d’adaptation :
La transformation vise à rendre Orange Innovation plus agile et plus réactive face aux évolutions du marché. L’adoption d’un « framework » agile commun (SAFe) avec les unités d’affaire et les pays, la volonté de clarifier la gouvernance, les responsabilités, et d’adopter une approche produit sont des signaux positifs.
✔ Engagement dans le dialogue social :
La promesse d’une phase d’information/consultation avant l’été 2025, et l’engagement de M. Le Mounier à revenir vers le CSEE fin juin pour un point d’étape et un calendrier précis, témoignent d’une importance accordée au dialogue social.
Points de vigilance :
✘ Manque de vision stratégique à long terme :
Si l’adaptation est nécessaire, la difficulté à se projeter à long terme face aux géants américains et aux évolutions rapides du marché, notamment sur des sujets comme le « spatial computing », suscite des inquiétudes. La dépendance à des solutions externes (OpenAI contre Mistral) interroge sur la capacité d’innovation souveraine, en particulier en matière d’IA. La stratégie à 3-4 ans, présentée comme difficile à établir, nécessite d’être clarifiée. La CFDT s’interroge sur la capacité d’Orange Innovation à anticiper les ruptures technologiques et à proposer des solutions innovantes et souveraines.
✘ Clarification du rôle d’Orange Innovation :
et de ses interactions avec les unités d’affaire
Orange Innovation est perçue comme une ESN interne gérant des produits et services matures, ce qui pose des questions sur son positionnement stratégique. Les attentes divergentes des unités d’affaires complexifient la situation : OF attend de l’exploration à long terme et de l’expertise ponctuelle, OB recherche une forte contribution projet (ressources et plateformes), les pays d’Europe souhaitent des produits clés en main et mutualisés, tandis qu’OCD, OW et OMEA attendent une expertise technique de pointe. La CFDT demande une cartographie des produits et services d’Orange Innovation pour plus de clarté. L’organisation cible, en ligne de marché (« Produits B2C », « Produits B2B », « Produits pour Réseaux et Opérations »), doit être précisée, ainsi que le rôle des fonctions transverses.
✘ Difficulté à concilier innovation et contraintes financières :
La pression des unités d’affaire sur le chiffre d’affaires, la difficulté de capter la valeur en euros avec les pays, notamment hors DVM, et les contraintes budgétaires peuvent freiner l’innovation. Seulement 54M€ sont alloués aux « Value Streams » en 2025. L’équilibre entre rentabilité à court terme et investissement dans l’avenir reste un défi. La CFDT s’interroge sur la répartition du budget entre Recherche, anticipation et « build ». Le mécanisme de « recharging », qui semble favoriser le « run » au détriment de l’exploration et de l’innovation de rupture, doit être clarifié. La CFDT demande des garanties sur le financement de l’innovation amont.
✘ Complexité de la transformation et risques psychosociaux :
Le passage à une logique produit, le changement d’organisation, la nécessité de développer de nouvelles compétences (IA, « plateforming »), et l’allocation dynamique des budgets peuvent générer des inquiétudes et des résistances. La souffrance exprimée par les équipes face à la complexité des outils et processus (« recharging », Clarity) doit être prise au sérieux. L’accompagnement, la formation (« upskilling, reskilling ») et la communication seront cruciaux. La CFDT s’inquiète de l’impact de cette allocation dynamique sur les salariés et demande des précisions sur les mesures d’accompagnement prévues, notamment en matière de formation et de réaffectation sur de nouveaux projets. L’impact sur les conditions de travail et les risques psychosociaux (RPS) liés à ces changements doivent être évalués et pris en compte. Des mesures de prévention primaire sont attendues.
✘ Manque de clarté sur l’avenir de la Recherche :
et son lien avec les « Value Streams »
La CFDT s’interroge sur la manière dont la recherche, non rechargée et en partie autofinancée (brevets, financements européens), alimente les « Value Streams » et si elle est bien focalisée sur les enjeux stratégiques de demain, notamment sur des sujets comme l’IA. La direction doit clarifier le rôle de la recherche dans ce nouveau modèle et garantir sa pérennité. La question de la superposition entre les « Value Streams » et les portefeuilles d’innovation doit également être clarifiée pour plus de visibilité.
✘ Impact sur l’emploi :
Les projections de baisse d’effectifs à Orange Innovation (-8,9% à -13,3% à horizon 2026 par rapport à 2024, issues de la GPEC) sont une source majeure d’inquiétude. La CFDT demande des précisions sur le mix métiers, les mesures d’accompagnement prévues pour les salariés dont les activités seraient arrêtées, et la stratégie de recrutement sur les métiers en tension (sécurité, données, architecture, intégration, brevets). L’accord GEPP et les dispositifs d’accompagnement existants doivent être pleinement mobilisés.
✘ Rôle d’Orange Innovation dans le SI :
La majorité des salariés d’Orange Innovation ont des compétences en SI et non en R&D. La CFDT demande une clarification du rôle d’Orange Innovation dans le développement et l’exploitation du SI, notamment pour des projets comme XDLab, Cloud et Orange Money. La question « Qui doit exploiter le SI dans le groupe ? » reste ouverte. La direction doit préciser si l’exploitation du SI est une mission d’Orange Innovation ou si elle doit être confiée à d’autres entités. Les questions du « make or buy » et de la pertinence de conserver des compétences internes en développement doivent être examinées au cas par cas, en tenant compte des coûts et des avantages compétitifs.
✘ Empreinte carbone :
L’absence de prise en compte de l’empreinte carbone dans les documents présentés est un point de vigilance. La CFDT demande des informations sur la manière dont cet aspect, ainsi que la biodiversité et l’utilisation des ressources, seront intégrés à la stratégie d’innovation. Des objectifs de réduction de l’empreinte carbone, alignés sur ceux du groupe, doivent être définis et mesurés pour chaque « Value Stream » et chaque produit.
✘ Manque de méthode unifiée pour mesurer la création de valeur :
Si la méthode DVM (« Data Value Measurement ») est utilisée avec succès pour les projets Data/AI, il manque une méthode unifiée pour les autres projets. La difficulté de capter la valeur en euros avec les pays, notamment hors DVM, est un frein à la démonstration de l’efficacité des « Value Streams ». La CFDT demande des éclaircissements sur la manière dont la création de valeur sera mesurée en 2025 et au-delà.
En conclusion
Les élus CFDT restent vigilants quant à la mise en œuvre concrète de cette transformation et attendent des réponses précises et des engagements concrets de la direction sur l’ensemble des points de vigilance soulevés. La réussite de ce projet dépendra de la capacité à concilier les objectifs de performance économique avec la prise en compte des préoccupations des salariés et la construction d’un avenir partagé et durable. La CFDT attend avec impatience le point d’étape fin juin et le calendrier de la phase d’information/consultation, essentielle pour garantir un dialogue social constructif et apaiser les inquiétudes des salariés. La CFDT insiste sur l’importance d’un accompagnement de qualité, d’une formation adaptée et d’une communication transparente tout au long de ce processus de transformation.
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